floricultrice fleurs Bretagne

Carnet d’une floricultrice (en herbe)

Billet 1 – Inspire, expire et autres illuminations

Les plants de fleurs sont empilés sur le tas de compost, les engrais verts sont semés, les anémones sont plantées, le soleil se fait plus tardif et les matins plus agressifs sur les joues et le nez. Il n’y a pas de doute, l’automne est là et la saison est presque officiellement derrière nous. Nous en déclarerons la fin officielle au matin de la première gelée, celle qui marquera le début d’hibernation des dahlias, nos dernières fleurs à encore produire. 

Comme nous n’avons pas de cultures d’hiver sur notre micro ferme florale, le premier gel, à la date par essence incertaine, est signe pour nous d’un vrai ralentissement. 

J’ai récemment lu dans l’ouvrage co-écrit par les fondatrices des cafés-fleuristes Désirée Pâtisser, Cultiver, Fleurir un texte qui m’a marquée pour décrire ce rythme si particulier qui est donné aux métiers qui vivent du travail avec le sol. Les autrices ont emprunté à la biodynamie le concept d’inspire et d’expire de la terre et de la nature en fonction du rythme du soleil. Si je ne me reconnais pas forcément dans tous les éléments de la biodynamie pour plusieurs raisons que je ne développerai pas ici (je ne suis déjà pas maîtresse en art de la synthèse)  j’ai trouvé cette image belle et parlante. 

À l’automne, alors que les jours raccourcissent, la terre commence son inspiration, elle qui a tant donné pendant tout l’été a besoin de reprendre son souffle, de se replier sur elle-même pour se régénérer. C’est le moment où les fleurs annuelles ralentissent (ou développent des maladies, signe que leur système immunitaire est moins vaillant). Si on leur a laissé faire leur cycle complet (ce qui est rarement le cas dans la floriculture puisque que l’on coupe toutes les fleurs avant qu’elles n’aient une chance de produire leurs graines), elles ont essaimé pour revenir les années suivantes. Selon leur stratégie de reproduction, elles s’appuient sur le vent, les insectes ou les oiseaux pour que leurs graines recouvrent le plus grand périmètre possible. Cet impératif de reproduction oriente tous les comportements des plantes et c’est avec ce paramètre que nous “jouons” pour obtenir les plus belles fleurs dans la plus grande qualité possible. Ne soyez pas choqué·es de nos jeux ! Toute la base de notre métier est ce dialogue mené avec la nature. J’ai entendu récemment dans Roots, une série documentaire d’Arte sur le sol et l’agriculture que “l’agriculture naturelle n’existe pas”. Et c’est vrai ! Le fondement de l’agriculture et de l’horticulture est de mener une action sur la nature afin de nous nourrir, nous habiller et embellir nos vies. Mais cette action ne doit pas aller que dans un sens. Pratiquer un échange unilatéral sous prétexte que la nature ne nous a rien explicitement demandé en échange, c’est continuer la route que la société a emprunté depuis la révolution industrielle. Aujourd’hui, par les catastrophes naturelles, les sécheresses, les extrêmes climatiques, les baisses de fertilité, les phénomènes de pollution type algues vertes ou contamination au chlordécone, la nature vient nous réclamer son dû, le retour de tout ce qu’elle nous a donné.

Mais je m’égare (pas tant que ça, tout se tient si on y regarde de plus près), j’en étais à l’inspire de l’automne. Ce moment où tout ralentit, où les feuilles des arbres se déposent sur la terre, futur festin pour la vie qui grouille dans ce sol que l’on foule au quotidien sans y penser. Les vivaces aussi entament leur processus d’hibernation : faire tomber son feuillage, cesser d’envoyer la vie en haut pour la stocker en bas vers les racines, chouchouter ces dernières, les nourrir, afin qu’elles passent un hiver sans souffrir. La terre réabsorbe tout ce que l’on lui a laissé à la surface, elle allume la veilleuse le temps de retrouver des forces. La faune suit le même mouvement, l’heure est aux préparatifs, migration ou hibernation, le moment est proche. Et nous, qui profitons des richesses données par la terre tout le printemps et l’été, en prélevant en permanence, c’est à notre tour de donner afin que les végétaux et l’écosystème du sol puissent parfaire leur cycle. C’est le rôle des engrais verts, des éventuelles couches de fumier, du mulch, ou du paillage ; tout ce qui peut nourrir et protéger avec pour règle d’or, jamais un sol ne doit rester à nu (comme l’explique Sarah Singla toujours dans Roots, laisser un sol à nu c’est comme se balader à poil en hiver, je vous laisse imaginer l’état de votre peau après quelques passages à -5°c). Bref, on rend la pareille et on s’occupe de couvrir la terre (mais pas n’importe comment !).  

Sans surprise, si l’inspire est à l’automne, l’expire arrive au printemps. L’explosion de sève et d’énergie, les verts fluos des premières feuilles, la chaleur des rayons de soleil, la lumière qui revient pour des durées plus longues. Si la nature a eu la pause qu’elle méritait elle peut alors repartir de plus belle, elle se prend au jeu de la culture qu’on lui propose et nous offre un festin de couleurs et de goûts. 

Vous l’aurez remarqué, je suis dans un anthropomorphisme total et je personnifie la nature en permanence. Pourtant vous pouvez aussi me trouver en train de discuter NPK, et taux de masse humique ou rapport azote/carbone dans un compost. Mais spontanément, étant sans cesse en contact avec la nature j’ai envie de lui parler et de l’écouter, pas juste d’évaluer ses données et disserter sur sa granulométrie. J’aurai dû mal à faire ce métier sans avoir l’impression de dialoguer avec cette entité composée de milliards de milliards d’éléments vivants de toutes les tailles. Et puis lorsque l’on sait que du jour au lendemain le ciel (ou plutôt la grêle) peut nous tomber sur la tête et détruire toutes nos récoltes on se dit qu’on a rien à perdre à montrer un peu de respect et de déférence aux plantes qui nous entourent. Rêve éveillé ou soupçon de réalité, finalement je m’en fiche mais en parler de cette façon me permet de rendre hommage à cet univers dont nous connaissons finalement si peu de choses. 

Où en étais-je ? Inspire, expire, anthropomorphisme, délire spirituel, ah oui ! Pourquoi j’insiste sur la personnification de la nature ? Très simple, pour nous donner envie de prendre exemple sur elle !

En lisant mes mots sur l’inspire, ne vous êtes-vous pas dit “Ah, ça donne envie de se poser deux secondes. » En parcourant la description de l’expire, n’avez-vous pas senti en vous le ressort jaillissant du printemps lorsque, la truffe en l’air, on hume la douceur perceptible des journées qui rallongent. La ville nous fait presque oublier ce cycle pourtant si naturel. En masquant les transformations de la nature par le bitume, se laissant trahir uniquement par les jours qui raccourcissent, notre système urbain et moderne nie le besoin de repos et de repli qui marquent l’automne et l’hiver. Les horaires restent les mêmes, les activités ne changent pas, la productivité doit rester identique. Et pourtant ,on rêve de cocooning, de hygge, de pumpkin latte et de pulls en laine  (bon ça c’est sûrement davantage dûs aux algorithmes). On aspire à un rythme différent, des journées plus courtes pour des activités plus lentes en soirée, des repas chauds et réconfortants. Earthy meals and comfort food disent les anglais. Des courges et des soupes (sans oublier la raclette et la boîte chaude) nous appellent du pied. Personnellement, il m’a fallu trois opérations du genou, chacunes en début d’automne pour comprendre et intérioriser ce ralentissement, forcée que j’étais de le vivre. Et je ne l’ai jamais aussi bien vécu qu’à la campagne, où la nature me chuchotait “Vas-y, lâche ta culpabilité, nous aussi on fait pareil. Va lire à côté du feu et manger des châtaignes grillées.”. 

Je suis consciente que les circonstances actuelles ne le permettent pas toujours, que les situations personnelles nous imposent parfois leur cadence. Je mesure ma chance d’être en partie en mesure d’opérer ce ralentissement. Beaucoup de floricultrices l’attendaient avec impatience, après cette saison si éprouvante avec le manque d’eau et la chaleur. Ralentissement ne veut pas dire que nous allons chômer, il y a maintenant toute la planification 2023 à faire, les commandes à passer, les semis d’automne à baby-sitter et les chantiers d’hiver à mener (ranger la cabane, créer un système de classification pour les semences, installer un lombricomposteur enterré, trouver des toilettes sèches, etc.). Mais naturellement, on rétrécit ses journées de travail et on prend davantage son temps. C’est un moment où on peut échanger entre nous, aller rendre visite aux fermes voisines, lire et se former toujours plus sur la vie du sol et sur la culture des fleurs. Un autre rythme pour d’autres priorités. Je pense que c’est une des choses que j’apprécie le plus dans ce métier, la différence de tempo entre les différentes saisons.

Nous aussi, comme le sol, on reprend notre respiration et on inspire longuement, n’hésitez pas à faire de même !

Bon automne à vous

Marguerite

Photographe : Ulrike

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