Journal d’une jeune entreprise à impact engagée dans la Convention des Entreprises pour le Climat – Épisode 3
Avant-propos
Avant de vous lancer dans la lecture de ce troisième billet, je vous invite à vous plonger dans les deux premiers, car ils constituent vraiment une suite logique.
Lien vers le premier épisode ici.
Lien vers le second journal de bord ici
En ce début du mois de mai, nous voici pour cette troisième session de la Convention des Entreprises pour le Climat en route vers St Malo avec Marguerite qui est la personne la plus en lien avec le vivant de notre équipe puisqu'elle est en charge de produire nos jolies fleurs à la ferme florale.
Pour un thème de session "Entreprendre avec le Vivant" elle était la Planet Champion idéale.
Sur l'échelle temps, les Humains représentent....
Nous arrivons à St Malo pour une première activité appelée la Marche du Temps Profond (Deep Time Walk). Il s'agit d'une marche contée de 4,6kms qui représentent les 4,6 milliards d'années depuis la création de la Terre à la période des Humains.
Pendant ces 4,6 kms de nombreuses étapes permettent de revoir l'évolution de la Terre: le big bang, l'apparition de la première bactérie, les premières espèces végétales, animales, les différentes étapes d'évolution du climat sur Terre, le jurassique, les grandes extinctions de masse etc. À chaque étape nous est proposée une activité afin de respirer, comprendre, ingérer le temps long qui a permis à la Terre d'être ce qu'elle est aujourd'hui.
Sur les toutes dernières minutes nous visualisons à l'échelle de ces 4,6 kms parcourus ce que représente l'existence de l'espèce humaine : moins de 0,5 mm sur 4,6 kms ! Un excellent graphique que j'ai trouvé très parlant permet de bien visualiser cette remise en contexte temporel.
Et pourtant la biomasse engendrée par l'espèce humaine est énorme.
L'espèce Humaine - et de façon démultipliée depuis la révolution industrielle - est celle qui extrait des ressources vieilles de millions d'années, exploite jusqu'à l'extinction des espèce animales vieilles de millions d'années, au point de dérégler le climat et d'être sur le point de déclencher une nouvelle extinction de masse.
Parmi les intervenants, nous avons été reçus par Julien Vey, Président de l'Institut Supérieur de Design de St Malo, Institut avant gardiste qui réfléchit au biomimétisme, à l'innovation sociale et à l'écologie. Sa conférence pleine d'humour et d'esprit serait impossible à résumer ici en quelques lignes, mais je choisis de partager un élément.
Nous les Humains en sommes arrivés à créer des besoins inutiles, et à se donner bonne conscience en affichant fièrement que la boite en carton qui nous livre cet achat inutile est transformable en ..... maison d'intérieur pour chat.... tout aussi inutile.
Résultat - parmi tant d'autres assez peu réjouissants - si l'espèce Humaine en termes de Biomasse constitue à peine 0,01% / 2,5 Giga Tonnes (GT) des espèces (voir ce graphique génial pour les curieux), elle engendre à elle seule 8 GT de plastique, soit deux fois plus que le poids de tous les animaux réunis. La biomasse d'internet et des datas est encore plus vertigineuse, je partagerai l'image du graphique dès que je la retrouve.
(Re)définir nos vrais besoins en tant que consommateur, et nos offres en tant qu'entreprise.
De quoi avons nous vraiment besoin ?
C'est un grand thème abordé ou questionné le lendemain par Pierre Alain Lévèque du Low Tech Lab, qui nous incite à réfléchir pour mieux agir.
En introduction, Pierre Alain nous pose cette question : "il existe 3 sphères : la biosphère, la sociosphère et la technosphère. Pensez aux moments les plus heureux de votre vie : à quelle sphère étaient ils liés ?". La réponse dans 90% des cas est la biosphère et/ou la sociosphère. Et Pierre Alain de questionner "alors on peut se demander pourquoi la vision du futur est toujours aussi fortement en lien avec la technosphère." Et le silence dans la salle parle pour lui seul.
Il nous partage des exemples d'entreprises qui nous font rire jaune mais qui sont bel et bien sérieuses : l'usine à décarboner l'air en est une qui me reste ancrée en tête.
En tant que particulier,
Quel est mon besoin ? (est ce que j'ai vraiment besoin du tout dernier smartphone alors que le mien fonctionne?"
Pourquoi j'en ai besoin ?
Des questions que l'on a toutes et tous oublié de se poser dans un monde où acheter tout et n'importe quoi à n'importe quel prix est devenu si facile.
Et en tant qu'entreprise, Pierre Alain nous interpelle :
Pourquoi produit on ?
Que produit on ?
Comment produit on ?
C'est là le début du chemin selon lui.
Quelle est la "Neige" de votre entreprise ?
Parmi les ateliers en sous groupes qui nous sont proposés cette session, nous nous lançons sur la question "et vous quelle est votre neige?".
Pour comprendre, je reviens à l'exemple présenté par Julien Vey de la station de ski de Metabief en France, qui au moment de devoir investir massivement dans le renouvellement de ses remontées mécaniques, a réfléchi plus loin. Leur constat : "puisque nous allons manquer de neige au moins un hiver sur deux, nous nous devons d'anticiper et de réfléchir à comment changer notre modèle économique."
S'est lancée une étude auprès de leurs parties prenantes sur "finalement qu'est ce qui vous fait venir à Métabief et à la montagne?" Ils se sont rendu compte que la montagne, la fondue, le froid, les sapins et d'autres éléments étaient attendus par les clients, mais la neige n'était peut être pas l'élément central de pourquoi ils venaient à Metabief.
S'en est suivie une transformation complète de la vie de la station qui d'ici peu d'années leur permettra de maintenir la vie économique locale sans s'inquiéter du manque de neige. Vous en saurez plus dans cette interview sur l'histoire de Metabief.
La question qui nous a été posée "et vous quelle est votre neige ?", revient finalement à se poser la question de "De quel élément vital dépend votre entreprise et qui va disparaitre avec le changement climatique ? Et comment pouvez anticiper cela et changer de modèle pour préserver votre entreprise et les emplois que vous y avez créés?".
Question super intéressante.
L'enjeu de cet exercice est vraiment de cerner ce sur quoi l'entreprise doit adapter son modèle afin qu'elle ne disparaisse pas. Si vous pensez que ca n'arrive qu'aux autres, regardez l'exemple de ce camping forcé de fermer pour cause d'eutrophisation du lac.
Nous avons coté Les bottes d'Anémone choisi de nous pencher sur le fait de proposer des fleurs fraiches en hiver, qui selon notre ressenti est un élément qui alourdit notre empreinte carbone (fleurs du Var = 1000 km de fret routier chaque semaine), et notre production de déchets. Car même si l'on réutilise tous nos cartons et les emballages en calages d'expédition, les cerclages par exemple sont des déchets qui sont enfouis et non recyclés.
Nous irons plus loin dans la recherche de notre neige dès notre bilan carbone réalisé, car l'exercice est super intéressant.
«Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s'adaptent le mieux aux changements»
Darwin
S'inspirer du Vivant pour construire un avenir vivable.
Au second jour de la session, après une baignade aux aurores dans un mer à 11 degrés pour les plus courageux, nous avons suivi deux conférences fascinantes sur le Biomimétisme et sur la Permaculture.
Ou finalement comment s'inspirer du Vivant pour construire un avenir vivable.
L'objectif étant de nous inciter à réfléchir ensuite en sous groupes des trois grands principes de la Permaculture pour commencer à établir nos feuilles de route pour atteindre notre Cap 2030.
La Permaculture appliquée aux entreprises ce sont trois grands principes :
1. Prendre soin des humains,
2. Prendre soin de la terre,
3. Fixer des limites et partager les surplus.
Voici une image tirée du très bon livre de Sylvain Breuzard appelé La Permaentreprise qui résume le concept :
C'est donc sur chacun de ces trois piliers que nous avons travaillé en sous groupes pendant le second camp de base de cette session.
La tâche est longue et passionnante et ne se fait pas en 20 minutes, mais nous a permis de faire émerger de nombreuses idées avec Marguerite, notamment sur notre engagement à prendre soin de l'Humain qui n'est pas encore le plus fort chez Les bottes d'Anémone.
En effet notre impact est aujourd'hui avant tout réfléchi comme environnemental, et même s'il existe des synergies évidentes, nous avons un beau chemin à parcourir ! Je serai heureuse de vous partager nos avancées sur le sujet dans les prochains mois.
Ressenti et prochains petits pas
À l'issue de cette session 3 particulièrement inspirante, fascinante et stimulante tant les intervenants et leurs conceptions étaient poussées j'ai d'abord ressenti une sorte de trop plein, peut être un début de frustration. Par rapport à mon temps.
Pas évident pour une fonceuse comme moi d'accepter le temps long. De ne pas encore avoir les moyens (humains, financiers, temps...) d'emmener Les bottes d'Anémone là où la planète le mérite.
Sur la route du retour, j'ai compris une chose qui m'a aidé à mettre un peu de discernement : la structure des bottes d'Anémone a moins de 3 ans. Elle est donc l'une des plus jeunes parmi les structures engagées dans cette CEC, et comme nous construisons un modèle inexistant jusqu'alors, on ne peut pas aller aussi vite que ceux qui n'auraient qu'un an d'existence mais le parcours tout tracé d'avance.
Avec Les bottes d'Anémone je crée un nouveau modèle. Je crée une nouvelle façon de fonctionner qui s'adresse à de nouveaux publics, qu'il faut sensibiliser et convaincre. Notre avenir - et donc notre impact - dépendent de leur conviction à faire appel aux bottes d'Anémone.
J'ai donc compris que mon enjeu est double par rapport à mes camarades de CEC qui bossent avec des modèles d'affaires éprouvés : Construire, structurer et stabiliser le modèle des bottes d'Anémone, et en parallèle avancer plus loin dans le modèle regénératif. Mais ne pas faire des choix qui empêcheraient l'entreprise de poursuivre sa mission.
Finalement, je pensais être dans une position plus confortable car disposant de l'agilité d'une toute jeune et toute petite structure, mais j'ai compris ce weekend que si l'on regarde plus loin je ne dispose pas du confort et de la stabilité d'une structure plus éprouvée qui elle souffre sans doute d'une moindre agilité au changement.
Première étape donc : ne pas perdre de vue que si on n'existe plus, on n'a plus d'impact. Et accepter de mener certaines batailles maintenant et d'en reporter d'autres à plus tard.
Mais comment ne pas oublier toutes ces idées et personnes inspirantes en chemin?
Comment ne pas se faire happer par le quotidien d'une jeune entreprise qui se développe fort ?
La réponse m'est venue après une grande nuit de sommeil : on m'avait enseigné le concept de vision stratégique, il suffit de le reproduire mais de le décliner non plus sur des indicateurs financiers mais sur les trois aspects de la perma-entreprise. Et ensuite de ne pas m'arrêter à un an de vision, mais bien d'aller jusqu'en 2030 année pour laquelle nous avons formulé notre nouveau Cap 2030 en Session 2.
Activité absolument fascinante que de se projeter sans aucune croyance limitante vers 2030 et une entreprise de 10 ans, quand en parallèle je vois tant d'amis entrepreneurs ces derniers mois qui clôturent (par choix ou par contrainte) leur aventure en à peine 2/3/5 ans et quand on sait que statistiquement seulement une entreprise sur 10 passera le cap des 10 ans.
Bon alors si je passe ce cap -et je me dois de franchir cette barrière psychologique qui fait peur mais qui ne devrait pas en être une - eh bien c'est une entreprise et un éco-systeme très inspirant qui nous attend, et je serai très fière, arrivée en 2030 d'avoir persévéré.
Finalement rien de radicalement différent de ce qui se cache dans le fond de ma tête depuis le début de l'aventure, juste s'autoriser à y croire et le planifier, voila l'enjeu.
Préserver du temps pour s'inspirer et rencontrer les personnes avant gardistes qui avancent vers cet univers va être mon plus grand enjeu, mais le jeu en vaut clairement la chandelle donc je m'y engage.
Mon prochain petit pas donc : "Prendre le temps de dégager du temps."
Pour celles et ceux qui auraient envie d'aller plus loin, j'ai découvert un épisode de podcast super inspirant sur la vision du monde de l'entreprise d'Alexis Nollet, le fondateur d'Ulteria, que je vous recommande pour ouvrir les possibles : écouter le podcast (1h30).
Bonne écoute, RDV fin juin pour la suite de l'aventure,
Tiphaine